Les textes

La Raison


         



Les textes présentés ici sont plutôt orientés vers la Raison définie comme faculté de connaissance, bref il s'agit de la raison pure pour parler à la manière de Kant. Ce qui concerne la raison pratique se retrouvera sur la page conscience morale.



" Les enfants (...) ne sont doués d'aucune raison avant d'avoir acquis l'usage de la parole ; mais on les appelle des créatures raisonnables à cause de la possibilité qui apparaît chez eux d'avoir usage de la raison dans l'avenir. Et la plupart des hommes, encore qu'ils aient assez d'usage du raisonnement pour faire quelque pas dans ce domaine (pour ce qui est, par exemple, de manier les nombres jusqu'à un certain point) n'en font guère d'usage dans la vie courante : dans celle-ci, en effet, ils se gouvernent les uns mieux, les autres plus mal, selon la dif-férence de leurs expériences, la promptitude de leur mémoire, et la façon dont ils se sont inclinés vers des buts différents ; mais surtout selon leur bonne ou mauvaise fortune, et les uns d'après les erreurs des autres. Car pour ce qui est de la science, et de règles de conduite certaines, ils en sont éloignés au point de ne pas savoir ce que c'est. La géométrie, ils l'ont prise pour de la magie. Et pour les autres sciences, ceux à qui on n'en a pas enseigné les commencements, et qu'on n'y a pas fait pro-gresser dans une certaine mesure, de telle sorte qu'ils puissent voir comment elles sont acquises et engendrées, sont sur ce point comme les enfants qui n'ont aucune idée de la génération, et auxquels les femmes font croire que leurs frères et soeurs n'ont pas été enfantés, mais trouvés dans le jardin. "

HOBBES




L'animal, l'enfant, l'idiot perçoivent et connaissent à leur manière quoique sans doute ils ne se représentent point les objets tels que l'homme les imagine et les conçoit, grâce au concours des sens et de facultés supérieures que l'animal, l'enfant et l'idiot ne possèdent pas. Or, une de ces facultés, que nous considérons comme éminente entre toutes les autres, est celle de concevoir et de rechercher la raison des choses. Que cette faculté ait besoin, comme le goût littéraire, comme le sentiment du beau, d'exercice et de culture pour se développer ; qu'elle puisse être entravée dans son développement par certains défauts d'organisation, par des circonstances extérieures défavorables, telles que celles qui concentrent toute l'activité de l'homme vers des travaux ou des plaisirs grossiers, il y aurait absurdité à le nier. Mais toujours est-il que, chez tous les hommes réputés raisonnables, on retrouve, à certains degrés, cette tendance à s'enquérir de la raison des choses ; ce désir de connaître, non pas seulement comme les choses sont, mais pourquoi elle sont de telle façon plutôt que d'une autre ; et, partant, cette intelligence d'un rapport qui ne tombe pas sous les sens ; cette notion d'un lien abstrait en vertu duquel une chose est subordonnée à une autre qui la détermine et qui l'explique.

COURNOT

Texte de Cournot



Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement.

LOCKE, Essai sur l’entendement humain, livre II, § 2.



C’est seulement par la COUTUME que nous sommes déterminés à supposer le futur en conformité avec le passé. Lorsque je vois une boule de billard se mouvoir vers une autre, mon esprit est immédiatement porté par l’habitude à attendre l’effet ordinaire, et il devance ma vue en concevant la seconde bille en mouvement. Il n’y a rien dans ces objets, à les considérer abstraitement et indépendamment de l’expérience, qui me conduise à former une conclusion de cette nature : et même après que j’ai eu l’expérience d’un grand nombre d’effets répétés de ce genre, il n’y a aucun argument qui me détermine à supposer que l’effet sera conforme à l’expérience passée. Les pouvoirs par lesquels agissent les corps sont entièrement inconnus. Nous percevons seulement leurs qualités sensibles : et quelle raison avons-nous de penser que les mêmes pouvoirs seront toujours unis aux mêmes qualités sensibles ?
Ce n’est donc pas la raison qui est le guide de la vie, mais la coutume. C’est elle seule qui, dans tous les cas, détermine l’esprit à supposer la conformité du futur avec le passé. Si facile que cette démarche puisse paraître, la raison, de toute éternité, ne serait jamais capable de s’y engager.

HUME, Abrégé du Traité de la nature humaine.



Seulement la liaison d’un divers en général ne peut jamais nous venir des sens, ni par conséquent être contenue conjointement dans la forme pure de l’intuition sensible ; car elle est un acte de la spontanéité de la faculté de représentation ; et, comme il faut appeler cette dernière entendement pour la distinguer de la sensibilité, [...] toute liaison est alors un acte de l’entendement auquel nous devons imposer le nom général de synthèse, pour faire ainsi remarquer à la fois que nous ne pouvons rien nous représenter comme lié dans l’objet sans l’y avoir auparavant lié nous même, et que, parmi toutes les représentations, la liaison est la seule que des objets ne peuvent pas donner, mais que peut seulement effectuer le sujet lui-même, puisqu’elle est un acte de sa spontanéité.

KANT, Critique de la raison pure, seconde édition, § 15.


Textes de Locke, Hume et Kant

Remarque : Ces trois textes sont évidement proposés ici du fait de leur continuité. Le premier pose les bases de l'empirisme, et le second en tire les conséquences sur l'exemple de l'idée de causalité. Cette idée apparaît comme arbitraire, comme privée de nécessité, bref comme vide, et la notion même de Raison s'en retrouve fort relativisée. Il fallait donc compléter ce point de vue par le rétablissement de la nécessité de la raison opéré par Kant dans la Critique de la raison pure (en particulier dans la "déduction des catégories").




 





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