Les textes

Autrui


         







Cependant, en second lieu, Coleridge fournit réellement des efforts prodigieux pour se libérer de l’esclavage de l’opium, et, à ma connaissance, il alla une fois jusqu’à louer les services d’un homme, à Bristol, dans ce but explicite, armé du pouvoir de s’interposer résolument entre lui-même et n’importe quelle pharmacie. Il est vrai qu’une autorité émanant uniquement de la volonté de Coleridge n’était pas à même de s’imposer face à sa propre contre-détermination : il pouvait aussi facilement reprendre le pouvoir que le déléguer. Mais le projet n’échoua pas complètement : un homme recule devant l’idée d’exposer à un autre cette impuissance de la volonté qu’il pourrait, sinon, n’avoir qu’un faible motif de se déguiser à soi-même ; et l’homme délégué, la conscience extérieure pour ainsi dire de Coleridge, bien que destinée dans cette extrémité à céder (...) aurait pu cependant faire durer longtemps le combat, avant d’en venir à cette sorte de dignus vindice nodus (1).
Thomas De QUINCEY, Portraits Littéraires.

(1) Il faut comprendre ici que ce combat, même perdu, était digne d'être mené.

Sartre avant la lettre, non ???






Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la philosophie de Kant, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi, l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, et qui rie veut que pour ou contre moi. Ainsi, découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l'intersubjectivité , et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres.
En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n'est pas par hasard que les personnes d'aujourd'hui -parlent plus volontiers de la condition de l'homme que de sa nature. Par condition Ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l'univers. Les situations historiques varient : l'homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y être au milieu des autres et d'y être mortel. Les limites ne sont ni subjectives ni objectives ou plutôt elles ont une face objective et une face subjective. Objectives parce qu'elles se rencontrent partout et sont partout reconnaissables, elles sont subjectives parce qu'elles sont vécues et ne sont rien si l'homme ne les vit, c'est-à-dire ne se détermine librement dans son existence par rapport à elles. Et, bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu'ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s'en accommoder. En conséquence, tout projet, quelque individuel qu'il soit, a une valeur universelle.

SARTRE, L'Existentialisme est un humanisme.




Sartre à la lettre, non ???


 





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