Les textes

La Conscience telle qu'elle s'ouvre à une phénoménologie.





AUTEURS :
- Descartes
- Husserl




Tout d'abord Descartes, au moment où il ouvre, pour Husserl,
le thème transcendantal, pour ensuite le manquer à la manière d'un Colomb qui, ayant découvert l'Amérique, se croit aux Indes.

Mais que sais-je s'il n'y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l'esprit ces pensées? Cela n'est pas nécessaire; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose? Mais j'ai déjà nié que j'eusse aucun sens ni aucun corps. J'hésite néanmoins, car que s'ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux? Mais je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.
Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j'ai eues auparavant. C'est pourquoi je considérerai derechef ce que je croyais être avant que j'entrasse dans ces dernières pensées; et de mes anciennes opinions je retrancherai tout ce qui peut être combattu par les raisons que j'ai tantôt alléguées, en sorte qu'il ne demeure précisément rien que ce qui est entièrement indubitable. (…) Je suis, j'existe : cela est certain; mais combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d'être ou d'exister. Je n'admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai: je ne suis donc, précisément parlant, qu'une chose qui pense, c'est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m'était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie, et vraiment existante; mais quelle chose ? Je l'ai dit: une chose qui pense.
(…) Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.
Certes ce n'est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n'y appartiendraient-elles pas ? Ne suis-je pas encore ce même qui doute presque de tout, qui néanmoins entends et conçois certaines choses, qui assure et affirme celles-là seules être véritables, qui nie toutes les autres, qui veux et désire d'en connaître davantage, qui ne veux pas être trompé, qui imagine beaucoup de choses, même quelquefois en dépit que j'en aie, et qui en sens aussi beaucoup, comme par l'entremise des organes du corps ? Y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu'il est certain que je suis, et que j'existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m'a donné l'être se servirait de toutes ses forces pour m'abuser? Y a-t-il aussi aucun de ces attributs qui puisse être distingué de ma pensée, ou qu'on puisse dire être séparé de moi- même? Car il est de soi si évident que c'est moi qui doute, qui entends, et qui désire, qu'il n'est pas ici besoin de rien ajouter pour l'expliquer. Et j'ai aussi certainement la puissance d'imaginer; car encore qu'il puisse arriver (comme j'ai supposé auparavant) que les choses que j'imagine ne soient pas vraies, néanmoins cette puissance d'imaginer ne laisse pas d'être réellement en moi, et fait partie de ma pensée. Enfin je suis le même qui sens, c'est à dire qui reçois et connais les choses comme par les organes des sens, puisqu'en effet je vois la lumière, j'ouïs le bruit, je ressens la chaleur. Mais l'on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors. Qu'il soit ainsi; toutefois, à tout le moins il est très certain qu'il me semble que je vois, que j'ouïs, et que je m'échauffe; et c'est proprement ce qui en moi s'appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n'est rien autre chose que penser.

Descartes, Méditations, II




Puis Husserl, d'abord dans la description de ce que l'épochè devra suspendre, en particulier "l'attidude naturelle", ensuite dans la pratique de cette "épochè".

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, § 28.

C'est à ce monde, à ce monde dans lequel je me trouve et qui en même temps m'environne, que se rapporte le faisceau des activités spontanées de la conscience avec leurs multiples variations : l'observation dans le but de la recherche scientifique, l'explicitation et l'élabora-tion des concepts mis, en jeu dans la description, la comparaison et la distinction, la colligation et la nu-mération, les hypothèses et les conclusions, bref la conscience au stade théorique, sous ses formes et à ses degrés les plus différents. Ajoutons les actes et les états multiformes de l'affectivité et de la volonté : plaisir et désagrément, joie et tristesse, désir et aversion, es-poir et crainte, décision et action. Si l'on y joint encore les actes simples du moi par lesquels j'ai conscience du monde comme immédiatement là, lorsque je me tourne spontanément vers lui pour le saisir, tous ces actes et états sont englobés dans l'unique expression de Descartes : Cogito. Tant que je suis engagé dans la vie naturelle, ma vie prend sans cesse cette forme fondamentale de toute vie " actuelle ", même si je ne peux énoncer le Cogito à cette occasion et même si je ne peux pas me diriger " réflexi-vement " vers le " moi " et le " cogitare ". Si telle est ma conscience, nous sommes en face d'un nouveau " Cogito " de nature vivante, qui de son côté est irré-fléchi et pour moi par conséquent n'a pas qualité d'objet.
A chaque instant je me trouve être quelqu'un qui perçoit, se représente, pense, sent, désire, etc. ; et par là je me découvre avoir la plupart du temps un rapport actuel à la réalité qui m'environne constamment. Je dis la plupart du temps, car ce rapport n'est pas tou-jours actuel ; chaque Cogito, au sein duquel je vis, n'a pas pour Cogitatum des choses, des hommes, des objets quelconques ou des états de chose appartenant à mon environnement. Je puis par exemple m'occuper des nombres purs et des lois des nombres ; rien de tel n'est présent dans mon environnement, entendons dans ce monde de " réalité naturelle ". Le monde des nombres, lui aussi, est là pour moi ; il constitue précisément le champ des objets où s'exerce l'activité de l'arithméticien ; pendant cette activité, quelques nom-bres ou constructions numériques seront au foyer de mon regard, environnés par un horizon arithmétique partiellement déterminé, partiellement indéterminé ; mais il est clair que le fait même d'être-là-pour-moi, ainsi que ce qui est là sont d'un autre type. Le monde arithmétique n'est là pour moi que quand je prends et aussi longtemps que je garde l'attitude de l'arithméti-cien tandis que le monde naturel, le monde au sens ordinaire du mot, est constamment là pour moi, aussi longtemps que je suis engagé dans la vie naturelle. Aussi longtemps qu'il en est ainsi, je suis " dans l'attitude naturelle " ; et même les deux, expressions ont exactement le même sens. Il n'est nullement besoin que cette présence naturelle du monde soit changée lorsque je fais mien le monde arithméti-que ou d'autres " mondes ", en adoptant les attitudes correspondantes. Le monde actuel demeure encore " présent " ; je reste après comme avant engagé dans l'attitude naturelle, sans en être dérangé par les nouvelles attitudes (…).

Husserl, Méditations cartésiennes.

Nous allons donc diriger la lumière de l'évidence transcendantale non plus sur l'ego cogito - ce terme est pris au sens cartésien le plus large, - mais sur les cogitationes multiples, c'est-à-dire sur le courant de la conscience qui forme la vie de ce moi (mon moi, le moi du sujet méditant). Le moi identique peut à tout moment porter son regard réflexif sur cette vie, qu'elle soit perception ou représentation, jugement d'existence, de valeur, ou volition.. Il peut à tout moment l'observer, en expliciter et en décrire le contenu. (...) La perception de cette table est, avant comme après, perception de cette table. Ainsi, tout état de conscience en général est, en lui-même conscience de quelque chose, quoi qu'il en soit de l'existence réelle de cet objet et quelque abstention que je fasse, dans l'attitude transcendantale qui est mienne, de la position de cette existence et de tous les actes de l'attitude naturelle. Par conséquent, il faudra élargir le contenu de l'ego cogito transcendantal, lui ajouter un élément nouveau et dire que tout cogito ou encore tout état de conscience " vise " quelque chose, et qu'il porte en lui-même, en tant que " visé " (en tant qu'objet d'une intention) son cogitatum respectif. Chaque cogito, du reste, le fait à sa manière. La perception de la " maison " " vise " (se rapporte à) une maison ou plus exactement, telle maison individuelle de la manière perceptive : le souvenir de la maison " vise " la maison comme souvenir; l'imagination, comme image ; un jugement prédicatif ayant pour objet la maison " placée là devant moi " la vise de la façon propre au jugement prédicatif ; un jugement de valeur surajouté la viserait encore à sa manière. Et ainsi de suite… Ces états de conscience sont aussi appelés états intentionnels. Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière et générale qu'a la conscience d'être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito son cogitatum en elle-même."




Encore Husserl, dans l'élucidation complète du sens de l'épochè.

Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

§ 17 La récession de Descartes jusqu'à l'ego cogito. Interprétation du sens de l'épochè cartésienne.

Considérons la démarche des deux premières Médita-tions de Descartes dans une perspective qui fasse apparaître leur structure générale - considérons la démarche qui mène à l'ego cogito, l'ego des cogitationes qui possèdent chaque fois leurs cogitata. Notre thème sera donc cette fameuse question de cours pour enfants-philosophes. En vérité il y a dans ces premières Méditations une profondeur qu'il est si difficile d'épuiser, que même Descartes n'en était pas capable - si peu capable, que la grande découverte qu'il tenait déjà dans si main, il la laissa de nouveau lui échapper. Aujourd'hui encore (peut-être devrais-je dire aujourd'hui surtout) il faudrait, il me semble, que tout auto-penseur étudie ces premières Méditations jusqu'à la plus grande profondeur, sans se laisser effrayer par l'apparence de primitivité ni par l'emploi, dont il est averti d'avance, de, ces nouvelles idées pour faire valoir des preuves de Dieu paradoxales et fondamentalement aber-rantes, ni par bien d'autres obscurités et bien d'autres équivoques encore - et il faudrait ensuite qu'il ne se laisse pas trop vite rassurer par les réfutations qu'il se croirait, capable d'en faire lui-même. C'est pour de bonnes raisons que je laisse maintenant libre cours à ma tentative d'une interprétation scrupuleuse, qui ne vise pas à répéter ce que dit Descartes, mais, plutôt à extraire ce que contient véritablement sa pensée ; et qui ensuite distingue ce dont Descartes était lui-même conscient et ce que certaines évidences, au demeurant très naturelles, lui avaient caché et avaient substitué, à ses idées. Ce ne sont pas seulement des restes de traditions scolastiques ; ce ne sont pas seule-ment les hasards des préjugés de son temps ; mais ce sont des évidences millénaires, dont justement on ne pourra se défaire clarifiant et en pensant jusqu'au bout ce qu'il y a d'original dans les idées de Descartes. La connaissance philosophique est, selon Descartes, absolument fondée. Elle doit reposer sur le fondement d'une connaissance immédiate et apodictique, qui dans son évidence exclut toute espèce de doute imaginable.
Chaque pas d'une connaissance médiate doit précisément pouvoir atteindre à une telle évidence. Le regard qu'il jette sur les convictions qui jusqu'ici ont été les siennes, celles qu'il avait héritées et reprises à son compte, ce regard lui montre que partout s'annoncent des doutes ou des possibilités de doute. Dans cette situation il est inévitable pour lui, et pour quiconque veut sérieusement devenir philosophe, de commencer par une sorte d'épochè sceptique radicale qui mette en question l'universum de toutes ses convictions antérieures, qui prohibe d'avance tout usage de ces mêmes convictions dans le jugement, toute prise de position à l'égard de leur validité ou de leur invalidité. Il faut qu'une fois dans sa vie tout philosophe procède de la sorte, et s'il ne l'a pas fait, il doit le faire - quand bien même il aurait déjà " sa philosophie ". Celle-ci est donc, en regard de l'épochè, à traiter comme un préjugé. Cette " épochè cartésienne " est en effet d'un radicalisme jusque-là inouï, car elle embrasse expressément non seule-ment la validité de toutes les sciences jusqu'ici, même l'évidence apodictique que revendique la mathématique, mais aussi la validité du monde-de-la-vie pre- et extra--scientifique, en somme la perpétuelle évidence sans question d'un monde de l'expérience sensible donné d'avance et celle de la vie de la pensée qui s'en nourrit, de la pensée non scientifique et finalement aussi de la pensée scienti-fique. Pour la première fois, pouvons-nous dire, se trouve mise en question, sur le mode d'une " critique de la connaissance ", la strate la plus basse de toute connaissance objective, le sol de connaissance de toutes les sciences jusqu'ici, de toutes les sciences " du " monde : je veux dire l'expérience au sens habituel, l'expérience " sensible " -- et corrélativement le monde même : en tant que dans et à partir de cette expérience, il a sens et être pour nous, le monde tel que constamment, avec une certitude hors de question, il vaut pour nous comme tout simplement là-devant avec telle on telle teneur de réalités singulières et ne se dévalue comme douteux ou comme apparence -négative qu'occasionnellement et sur des individualités. Mais à partir de là se trouve du même coup mises aussi en question toutes les effectuations de sens et de valeur qui sont fondées dans l'expérience. Ce que nous avons là en réalité, comme nous l'avons déjà noté, c'est le commencement historique d'une " critique de la connaissance ", et ce en tant que critique radicale de la connaissance objective.
C'est le moment de nous rappeler à nouveau que le scepticisme antique inauguré par Protagoras et Gorgias met en question l'épistèmè, c'est-à-dire la connaissance scientifique de l'étant en-soi, et la nie ; mais que ce scepti-cisme antique ne va pas plus loin qu'un tel agnosticisme, qu'il ne dépasse pas la négation des substructions ration-nelles d'une philosophie qui croit avoir atteint et pouvoir atteindre, avec les prétendues vérités-en-soi qui sont les siennes, un En-soi rationnel. Selon ce scepticisme, " le "monde serait inconnaissable rationnellement et la connais-sance humaine ne pourrait dépasser les apparences subjec-tives-relatives. Il y aurait bien à partir de là une possibilité (comme par exemple celle qu'offre la phrase ambiguë de Gorgias : " il n ' y a rien ") de pousser plus loin le radicalisme, mais en réalité le scepticisme antique ne l'a jamais fait. A ce scepticisme négateur d'orientation pratico-éthique (poli-tique) il manquait dans l'antiquité ce qui lui manquera aussi dans les époques postérieures, à savoir le motif cartésien original. Ce motif original, c'est la traversée de l'enfer, qui permet, par une épochè quasi-sceptique que plus rien ne peut dépasser, de forcer le seuil céleste d'une philosophie absolument rationnelle, et de construire celle-ci même dans la systématicité.
Mais comment cette épochè s'acquittera-t-elle d'une telle tâche ? Comment est-ce précisément grâce à elle, qui cepen-dant d'un seul coup place hors de jeu l'entière connaissance du monde dans toutes ses figures, même celle de la plus simple expérience mondaine, et du même coup voit lui tom-ber des mains l'être même du monde, comment donc sera-ce grâce à elle qu'un sol originel d'évidences immédiates et apodictiques devra encore être démontrable ? La réponse s'énonce ainsi : que je mette hors-jeu toutes les prises de position à l'égard de l'être et du non-être du monde, que je m'abstienne de toute affirmation d'être relative au monde, cependant pour moi, à l'intérieur de cette épochè, ce n'est pas encore toute affirmation d'être qui se trouve barrée. Moi, moi qui accomplis l'épochè, je ne suis pas inclus dans l'horizon objectif de cette épochè, mais bien plutôt - à condition que je l'accomplisse d'une façon véritable-ment radicale et universelle - je m'en trouve exclu par principe. Je suis nécessairement, en tant que celui qui l'accomplit. C'est là précisément que je trouve le sol apodic-tique que je cherche, celui qui exclut absolument tout doute possible. Aussi loin que je puisse en effet pousser mon doute, aussi loin que j'essaie moi-même de le faire en imaginant que tout est douteux, ou même en vérité que rien n'est, il est absolument évident que moi cependant je serais, en tant que celui qui doute et qui nie tout. Un doute universel se supprime soi-même. Ainsi tout au long de l'épochè universelle reste pour moi offerte l'évidence absolument apodictique du " je suis ". Or dans une telle évidence toute une richesse se trouve incluse. Sum cogitans, cet énoncé de l'évidence résonne concrètement ainsi : Ego cogilo - cogitata qua coqitata. Cela englobe toutes les cogitaliones, une à une et aussi dans le fleuve de leur syn-thèse, qui les rassemble dans l'unité universelle d'une cogitatio. Dans ces cogitationes le monde, et tout ce que je lui avais toujours attribué en pensée, avaient et ont validité d'être pour moi en tant que coqitalum. La seule différence est que désormais je ne dois plus (moi qui philo-sophe) " accomplir " tout simplement ces validations sur le mode naturel, et je dois au contraire en transposer la valeur sur le mode de la connaissance. Dans l'état qui est le mien pendant cette épochè, qui couvre toutes les validations, je ne dois plus coopérer à celles-ci. Bref toute ma vie active en tant que je suis celui qui éprouve, pense, qui évalue, etc., demeure pour moi et continue bel et bien à se prolonger, à ceci près que ce que j'avais là autrefois devant les yeux comme " le " monde étant et valant pour moi, cela est devenu un simple " phénomène ", mutation qui touche l'ensemble des déterminations qui lui appartiennent. Toutes ces déterminations, et le monde même, se sont mués en mes " ideae "; ce sont des morceaux inséparables de mes cogitationes, à savoir : c'en sont les cogilata - tout cela dans l'épochè. Ainsi obtiendrions-nous une sphère d'êlre absolument apodictique co-incluse dans la rubrique même de l'Ego, et non pas simplement une proposition axiomatique unique " ego cogito " ou " sum cogitans ". Mais il faut ajouter encore ici quelque chose, et quel chose de particulièrement remarquable. Par l'épochè je me trouve projeté dans cette sphère d'être qui par principe précède tout étant concevable pour moi et toute sphère d'être d'un tel étant - qui la précède en tant qu'elle en est la présupposition absolument apodictique. Autrement dit, ce qui pour Descartes revient au même, moi, le moi qui accomplit l'épochè, je suis cela seul qui est absolument hors de doute. Tout ce qui par ailleurs se présente comme apodictique, comme font par exemple les axiomes ni mathématiques, laisse en effet bel et bien ouverte la possibilité d'un doute, et par conséquent aussi au moins la pensée de leur fausseté. Celle-ci en effet ne se trouve exclue, et l'exigence d'apodicticité ne se trouve satisfaite, que lorsque réussit une fondation médiate et absolument apodictique, qui renvoie par conséquent les axiomes à cette évidence originelle unique et absolue, à laquelle en effet - supposé du moins qu'une philosophie doit être possible - il faut reconduire toute connaissance scientifique.





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