Le Langage, les textes.

         






Ce passage à la forme s'accomplit de diverses façons et selon des principes de construction différents dans la science, dans le langage et dans le mythe ; principes et façons qui coïncident cependant dans le fait que le produit final de leur activité, tel qu'il nous apparaît, ne ressemble plus par aucun trait au simple matériau dont il procède originairement. C'est pourquoi ce n'est que dans la fonction fondamentale de la symbolisation en général, et dans ses diverses directions, que la conscience spirituelle et la conscience sensible sont véritablement distinguées. C'est ici seulement que se substitue à l'abandon passif à l'égard d'un être-là extérieur une activité autonome qui impose à cet être-là certains caractères par lesquels il se scinde pour nous en divers domaines et formes de réalité. En ce sens, le mythe et l'art, le langage et la science, construisent et imposent l'être : ce ne sont pas de simples copies d'une réalité déjà donnée, mais les lignes directrices générales du mouvement de l'esprit, du procès idéel par lequel le réel se constitue pour nous comme unité et pluralité - comme une diversité de configurations qui sont, en dernière instance, unifiées par l'activité signifiante.

E. CASSIRER, La philosophie des formes symboliques, Tome I, Intro. Chap. IV.


Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons d'une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'interne et l'externe sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une entreprise insensée. Mesmer en fit l'essai et de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vra, que ce qu'il y a de plushaut, c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie.

HEGEL, Philosophie de l'Esprit, Psychologie, Esprit théorétique.


Pour moi, la pensée ne se confond pas avec le langage. Il fut un temps où l'on définissait la pensée indépendamment du langage comme quelque chose d'insaisissable, d'ineffable, qui préexistait à l'expression. Aujourd'hui on tombe dans l'erreur inverse. On vourait nous faire croire que la pensée c'est seulement du langage, comme si le langage lui-même n'était pas parlé.
En réalité, il y a deux niveaux. A un premier niveau, le langage se présente, en effet, comme un système autonome, qui reflète l'unification sociale. Le langage est un élément du " pratico-inerte ", une matière sonore unie par un ensemble de pratiques. Le linguiste prend comme objet d'étude cette totalité de relations, et il a le droit de le faire puisqu'elle est déjà constituée. C'est le moment de la structure, où la totalité apparaît comme la chose sans l'homme, un réseau d'oppositions dans lequel chaque élément se définit par un autre, où il n'y a pas de terme, mais seulement des rapports, des différences. Mais cette chose sans l'homme est en même temps matière ouvrée par l'homme, portant la trace de l'homme. (...) Chaque élément du système renvoie à un tout, mais ce tout est mort si quelqu'un ne le reprend pas à son compte, ne le fait pas fonctionner. A ce deuxième niveau, il ne peut plus être question de structures toutes faites, qui existeraient sans nous. Dans le système du langage , il y a quelque chose que l'inerte ne peut pas donner seul, la trace d'une pratique. La structure ne s'impose à nous que dans la mesure où elle est faite par d'autres. Pour comprendre comment elle se fait, il faut donc réintroduire la praxis, en tant que processus totalisateur.


Jean-Paul SARTRE

Récupération des textes de Cassirer, Hegel et Sartre



« Les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qu'à l'aide des mots, et l'entendement ne les saisit que par des propositions. C'est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend. Quand un singe va sans hésiter d'une noix à l'autre, pense-t-on qu'il ait l'idée générale de cette sorte de fruit, et qu'il compare son archétype à ces deux individus ? Non sans doute; mais la vue de l'une de ces noix rappelle à sa mémoire les sensations qu'il a reçues de l'autre, et ses yeux, modifiés d'une certaine manière, annoncent à son goût la modification qu'il va recevoir.
Toute idée générale est purement intellectuelle; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée: sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours.»

ROUSSEAU

Je récupère le texte de Rousseau.



On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vint à s'étendre , et que la terre se peuplât promptement ; sans quoi le genre humain se fut entassé dans un coin du monde, et tout le reste fut demeuré désert. De cela seul il suit que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit . D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains ; on peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques.


Rousseau, Essai sur l'origine des langues, ch.II

Je récupère le texte de Rousseau.





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