Les influences dans l'oeuvre de Hermann Hesse.




PLAN :

I LA CRITIQUE DU "BOURGEOISISME."
1> Qu'est-ce que le "bourgeoisisme" ?
2> La réaction romantique contre Les Lumières
3> La critique de la morale : Nietzsche

II LA RECHERCHE DE SOI
1> La quête du Moi, et le problême de l'individuation
2> La quête romantique
3> L'apollinien et le dionysiaque
4> Les religions et sagesses asiatiques


Introduction.

Il y a une grande homogénéité dans l'oeuvre de H. Hesse, et chacun de ses romans ressemble par bien des aspects aux autres. On y trouve en particulier un certain nombre de thèmes récurrents tels que la recherche de soi, la critique du monde bourgeois, l'intégration de toutes les facettes d'une personnalité (le corps et l'esprit), l'image de la femme-mère universelle, la révélation par le rêve..., thèmes qui dans chaques oeuvres s'organisent les uns par rapport aux autres selon une économie très semblable (homogénéité de contenu et de structure). On peut donc décrire l'ensemble des écrits de H. Hesse comme formant un tout, que chaque partie éclaire d'un jour différent. Cette " identité littéraire " trouve sans doute ses racines dans la personnalité profonde de l'auteur, mais là n'est pas notre propos, nous faisons simplement l'hypothèse qu'il y a un noyau idyosincrasique chez Hesse, un ensemble de préoccupations et d'obsessions qui lui sont propres. Le problème des influences peut alors se formuler ainsi : quelles lectures, quelles idées, philosophies, auteurs, artistes... ont offert à Hesse un reflet de lui-même suffisamment adéquat pour qu'on en retrouve la trace dans son oeuvre ? Il nous semble en effet que si un auteur ne peut évidemment pas être réduit à la somme de ses influences, on peut du moins penser que, à partir de sa propre recherche, il va élire un certain nombre d'oeuvres dans lesquelles il va trouver une formulation de ce qu'il sent et veut exprimer. Ces découvertes intellectuelles vont déterminer et enrichir la pensée de Hesse, en lui offrant un miroir, un moyen de prendre conscience de ce qu'il a en lui, d'en préciser les contours. C'est en ce sens que nous voulons parler d'influences. De même que l'on peut entrer dans l'oeuvre de Hesse à partir de n'importe lequel de ses romans, puisqu'ils sont tous assimilables à un point de vue sur une seule et même chose, de même, et pour les mêmes raisons, il ne semble pas y avoir d'ordre logique et nécessaire pour parcourir ses influences : chacune d'elles constitue une porte d'entrée d'égale dignité, et chacune d'elles renvoie aux autres. Cette remarque ne nous entraîne cependant pas à nous contenter d'un inventaire des influences de Hermann Hesse, au contraire, nous pouvons rappeler que ces influences se manifestent dans son oeuvre sous la formes de thèmes, thèmes qui obéissent à une économie précise. Notre méthode sera donc de suivre l'enchaînement de ses thèmes, en renvoyant chacun d'eux aux influences connues qui nous semblent pertinentes pour en expliquer la formulation chez Hesse. Notons pour finir que cette démarche repose sur l'hypothèse implicite qu'il y a une sorte d'oeuvre globale et archétypal chez Hermann Hesse, oeuvre dont les contours se dégageront au fur et à mesure que les thèmes et les influences seront parcourues. Cela peut sembler contestable, mais il nous semble que les romans eux-mêmes le justifient, et nous voyons en outre que cela n'est rien d'autre que Le jeu des perles de verre, histoire d'un intellectuel qui ambitionne d'atteindre LA vérité en combinant de diverses manières les éléments de chaque système intellectuel pour retrouver toujours, d'un système à l'autre, la même figure (comme " Les disciples à Saïs " de Novalis le font avec des minéraux).
Remarque : ce travail ne pouvait être exhaustif, et nous n'avons cité dans chaque chapitre que les oeuvres, de Hesse comme de ses modèles, qui nous semblaient les plus représentatives.


I La critique du " bourgeoisisme ".

Ce néologisme est emprunté à la traduction française du " Loup des steppes ", et la critique de cette attitude devant la vie prend une grande place dans cet ouvrage. Mais nous retrouvons ce thème aussi dans " Démian ", et dans une moindre mesure dans Siddhartha, ainsi que dans Narcisse et Goldmund.

1) Qu'est-ce que le  " bourgeoisisme " ?


Citons pour commencer Le Loup des steppes : " (...) la vie n'est pas une épopée héroïque avec des rôles en vedette, mais une cuisine bourgeoise, où l'on se contente de boire et de manger, de prendre un café, de tricoter des bas, de jouer aux cartes et d'écouter la T.S.F. ". Le bourgeoisisme c'est donc d'abord un mode de vie, médiocre et prosaïque. Le monde bourgeois est ainsi un " monde pour les politiciens, les profiteurs, les jouisseurs et les garçons de café " qui " prive d'air les êtres humains ". Il y a en vérité une humanité bourgeoise, et il ne faut pas entendre par là la simple classe bourgeoise, mais toute l'humanité moderne. Cette humanité se caractérise par une vie étriquée, gouvernée par l'opinion (qu'il faut ici opposer à la raison, comme le montrent les déboires encourus par Harry Haller après avoir osé écrire un article antimilitariste pourtant plein de bon sens). A cela rajoutons un conformisme borné, et surtout l'immersion dans un ensemble de préoccupations soit disant sérieuses , mais en vérité on ne peut plus futiles et vaines. La vie moderne ressemble en fait trait pour trait à la caverne de Platon, et le bourgeoisisme est la parfaite inversion de l'humanité réelle que Hesse défend comme Platon défend la philosophie. Citons encore Hesse dans Le Loup des steppes : " Le bourgeois, de par sa nature, est un être doué d'une faible vitalité, craintif, effrayé de tout abandon, facile à gouverner. C'est pourquoi, à la place de la puissance il a mis la majorité, à la place de la force la loi, de la responsabilité le droit de vote. ". En somme, le bourgeoisisme est une sorte de frilosité, qui sous prétexte de défendre les hommes gèle la vie humaine dans un carcan étroit et mesquin, pour exclure tout ce qui peut être grand, noble, et donc dangereux. Il y a là déjà des accents nietzschéens, mais avant d'en arriver là, on peut commencer par établir les influences romantiques évidentes de cette critique de la vie bourgeoise.

2) La réaction romantique contre les Lumières.


On a coutume d'opposer le romantisme au classicisme, mais ici nous faisons plus spécifiquement référence au romantisme allemand, et il est plus pertinent de le comprendre comme une réaction contre la pensée des Lumières, adoptée comme une sorte de prêt-à-penser par la classe bourgeoise, bref réduite à une simple idéologie, facile à adopter et donc séduisante pour les esprits paresseux. Fondée sur l'autorité pédante d'une science vulgarisée, la séduction de cette idéologie réside surtout sur son aspect réducteur : réduction de la religion à la superstition, de la spiritualité à la physiologie, de l'idéal au pragmatique... Un bon exemple de ce bourgeois pédant et " éclairé " se trouve d'ailleurs être le pharmacien Homais du Madame Bovary de Flaubert. Or, lorsque le Don Juan de Molière prétend ne croire qu'à 2+2=4, nous avons là une attitude de défi propre à l'esprit fort du XVIIème siècle, mais lorsque cette prétention devient dominante, nous ne nous trouvons plus que devant un monde désenchanté et gris où prédomine l'étroitesse d'esprit, le dogmatisme (positiviste), bref un rationalisme facile qui s'impose parce qu'il justifie au fond la médiocrité de la vie bourgeoise en coupant court à toute transcendance au nom du positif : ce qui est légitime dès lors, c'est de se préoccuper des " choses de la vie ", d'être réaliste (par opposition à rêveur). Il en résulte une morale terre-à-terre et conformiste, une apologie du travail, de l'honnêteté.
D'autre part, à cette influence des Lumières se mêle en Allemagne celle de la Réforme, si bien mise en évidence par Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. C'est d'ailleurs à Weber que l'on doit le thème du désenchantement du monde. On sait que les protestants épurent le catholicisme en repoussant bon nombre d'articles de foi, à commencer par les miracles, l'intercession des saints, le culte de la Vierge et autres mystères religieux. Mais la thèse de Weber a pour point de départ la doctrine de la prédestination selon laquelle il y a de toute éternité un certain nombre d'élus. Pour les calvinistes en particulier, chacun doit trouver la preuve de son élection dans la prospérité qui lui est accordée sur terre, d'où une orientation séculière de la morale, qui veut que chacun se livre au labeur et fasse tout pour s'enrichir ici bas. Weber voit dans cet état de fait l'un des facteurs déterminant de l'apparition du capitalisme. Or de cette morale puritaine découle une rationalisation de la vie, raison veut d'abord dire calcul, calcul d'intérêt bien sûr, mais aussi et surtout calcul religieux, en vue d'une fin qui n'est autre que la manifestation terrestre de l'élection divine. Il faut rappeler que Hesse a été élevé dans un milieu piétiste, qui certes se distingue pour Weber du calvinisme par une importante sentimentalité religieuse, mais qui, toujours selon Weber, s'il n'incline pas autant vers la plate et raisonnable vie bourgeoise, ne demande pas moins de cultiver des vertus qui sont " davantage celles du fonctionnaire, de l'employé, de l'ouvrier, du travailleur à domicile, fidèles à leur besogne, et aussi celles du patron aux sentiments patriarcaux, à la condescendance pieuse et satisfaite ". D'où un monde effectivement désenchanté, ce qui incitera d'ailleurs bon nombre de romantiques à se convertir au catholicisme, et d'où aussi une affinité de plus entre Hesse et les romantiques (Hölderlin avait par exemple un père pasteur, tout comme Nietzsche).
Citons pour commencer quelques passages Des Veilles de Bonaventura, texte attribué soit au grand philosophe romantique Schelling, soit à Jean Paul (Richter), grande figure du romantisme des débuts. Ecoutons le héros des Veilles s'adresser à un poète : " (...) dommage seulement qu'en ces temps froidement prosaïques, tes veilles ne te rapportent rien (...). Lorsque je poétisais encore dans la nuit, comme toi, j'étais réduit à la famine, tout comme toi, et je prêchais dans le désert (...). Poète, mon ami, qui veut vivre, de nos jours, n'a pas le droit d'être poète ! ". Et encore : " Que dirais-je de vous, hommes d'Etat qui avez réduit la société humaine à un ensemble de principes mécaniques ? " ou " Vous les savants, à quoi vous a servi toute votre érudition, si ce n'est à démonter et à disséquer l'esprit humain (...) ? ". Mais Les veilles est un ouvrage à part, sombre et nocturne, qui manifeste surtout la désillusion et le pessimisme. C'est là un romantisme " négatif " qui ne croit plus en lui-même et qui préfère l'anathème. Toujours est-il qu'on en perçoit d'autant mieux le décalage entre l'individu et son époque, qui est sans doute l'un des caractères essentiels du romantisme. Or, les héros de Hesse auront toujours à percer le voile des apparences de la vie bourgeoises étriquée et de ses évidences factices, et il y aura toujours à l'origine de ce mouvement un malaise de l'individu qui se sent réduit, aliéné, dépossédé à l'instar du poète romantique. Pour échapper à ce malaise, le romantisme " positif " (optimiste) se tournera vers le merveilleux, vers la Nature, la religion, le sentiment et la poésie, bref vers tout ce qui s'oppose à une société humaine étouffante à force d'être raisonnable au sens le plus plat du terme. Le mot d'ordre romantique pourrait donc être emprunté à Hamlet : " Il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que dans toute ta philosophie. ". Et la recherche du Loup des steppes, de Démian ou encore de Goldmund n'aura d'autre but, comme chez les romantiques, que la vraie vie, par opposition à la mort que propose la société.
Pour finir, il faut rappeler que l'auteur qui est sans doute l'un des plus cités dans l'oeuvre de Hesse est Goethe, le grand précurseur du romantisme (page 122 de Demian). Tous les romans de Hesse sont des romans de formation, redevables en cela au premier du genre, à savoir Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister. Mais l'influence de ce roman sur Hesse ne se limite pas à cela, puisqu'il conte l'émancipation d'un jeune homme épris de poésie et de théâtre, que sont père, marchand respectable, destinait pourtant aux affaires sérieuses et honnêtes. Tout ceci annonce d'ailleurs le thème hessien de la recherche de soi, thème qui sera l'objet de notre second chapitre, et qui découle nécessairement de la critique du bourgeoisisme puisque de ce dernier ne peut venir qu'un malaise moral, le sentiment d'être étranger, et donc une quête d'identité (on pourrait dire que la critique du bourgeoisisme et la recherche de soi ne sont que les deux facettes, négative et positive, d'une seule et même préoccupation).
Enfin il y a la grande oeuvre de la littérature allemande, le Faust de Goethe, et celle-ci s'ouvre ainsi :

Ainsi donc, ô philosophie,
Et médecine et droit encor,
Hélas, et toi, théologie,
Je vous ai, d'un ardent effort,
Approfondis toute ma vie
Et je reste là, comme un sot,
Sans avoir avancé d'un mot.
On m'appelle docteur et maître
Et voilà bien dix ans peut-être
Qu'à droite, à gauche, en haut, en bas
Je mène par le nez ceux qui suivent mes pas
Et vois qu'on ne peut rien connaître.
Comment ce coeur n'éclaterait-il pas ?
Certes, j'en sais plus long que tous ces pauvres êtres,
Maîtres, docteurs, scribes ou prêtres ;
J'ignore le doute et n'ai peur
Ni de l'enfer, ni de son diable...
Mais je suis, pour cela, privé de tout bonheur,
Je cherche vainement quel savoir véritable
Je pourrais enseigner à l'homme misérable
Pour le reconvertir et le rendre meilleur
Puis je n'ai ni bien, ni fortune,
Ni honneur, ni richesse aucune
Que dans le monde on doit avoir.
.. Quel chien voudrait d'une pareille vie !
J'ai donc pensé que la magie
Et les esprits et leur pouvoir
Pourraient me révéler quelque secret savoir
Qui ne m'oblige plus, quand la sueur m'inonde
, A proclamer ce que j'ignore en vérité,
Qui m'apprenne ce qu'est le monde
En sa pure réalité
Et, découvrant l'effet et sa cause profonde,
Me délivre des mots et de leur vanité.

C'est bien là l'expression de la déception après s'être fourvoyé, de la recherche d'une nouvelle vie, c'est là l'annonce du romantisme et par-delà celui-ci de la préoccupation principale de Hesse : rompre avec la médiocrité assimilée à la société, pour retrouver la magie, l'authenticité, bref pour se retrouver soi-même et pouvoir enfin respirer.

3) La critique de la morale : Nietzsche.


Avant que d'en venir au thème de la quête de soi, il faut encore évoquer l'influence de la critique nietzschéenne de la morale sur Hesse. On en trouve particulièrement des signes dans Le Loup des steppes et dans Demian, avec des références explicites à Nietzsche (l'autre auteur le plus cité). Pour commencer et comme transition avec ce qui a été précédemment dit, on peut citer Nietzsche, s'agissant de la ville : " Ici, pourrissent tous les grands sentiments : on ne doit entendre ici que le craquement sec de petits sentiments secs et craquants.
Ne sens-tu pas l'odeur des abattoirs et des gargotes de l'esprit? Cette ville n'est-elle pas toute fumante des exhalaisons de l'esprit abattu?
Ne vois-tu pas les âmes accrochées comme des loques ramollies et sales? - et de ces loques, par-dessus le marché, ils font encore des journaux!
N'entends-tu pas comme l'esprit est ici devenu jeu de mots? Il dégorge une ignoble eau de vaisselle de mots? - et de cette eau de vaisselle de mots ils font encore des journaux.
Ils s'excitent les uns les autres et ne savent pas vers quoi ? Ils s'échauffent les uns les autres et ne savent pas pourquoi ? Ils font retentir leur ferraille et sonner leur or. (...)
Toutes les débauches et tous les vices sont ici chez eux ; mais il y a ici beaucoup de gens vertueux, il y a beaucoup de vertus employable et employée: - beaucoup de vertu zélée avec des doigts qui aiment à écrire, beaucoup de vertu rond-de-cuir et sachant attendre, récompensée à l'aide de petites étoiles pour mettre sur la poitrine et de filles de bonne famille avec des croupions artificiels et rembourrés.
Il y a aussi beaucoup de piété et beaucoup de pieux lécheurs de bottes, beaucoup de fabriquants de flatteries pour le Dieu des armées. (...)
" Je sers, tu sers, nous servons ", - voilà la prière que la vertu zélée fait monter vers le prince : pour que l'étoile méritée vienne enfin s'attacher à l'étroite poitrine ! (...) le prince propose, mais l'épicier - dispose ! "
Ce passage reprend de façon radicale la critique du bourgeoisisme, et plus généralement de la médiocrité moderne. Mais ici la critique est de nature philosophique, et elle dépasse le simple malaise du romantique ou son recours à la poésie, pour culminer dans une généalogie de la morale qui vise une compréhension approfondie du mode de vie moderne, ainsi que de sa morale d'origine chrétienne.
Pour aborder cette critique, nous pouvons partir de l'oeuvre de Hesse, afin de voir ce qui en a été retenu. Nous trouvons dans Demian que " Dans ce monde-là, il y avait des lignes droites et des chemins qui conduisaient à l'avenir. Il y avait le devoir et la faute, la mauvaise conscience et la confession, le pardon et les bonnes résolutions, l'amour et le respect, la parole sainte et la sagesse. C'est en ce monde-là qu'il fallait demeurer pour que la vie fût claire et nette, belle et bien ordonnée. " ; dans cette première citation, nous avons la prise de conscience du héros, Emile Sinclair, tout jeune encore, de ce que signifie sa tradition familiale. Ce monde est représenté dans le roman comme étant celui d'Abel et de ses descendants, et tout le roman est l'histoire du basculement d'Emile dans la race de Caïn, sous l'influence du sulfureux Demian. Ce qui nous amène à une de leur longue discussion à propos de la figure emblématique de Caïn : " Devant lui (Caïn), l'on tremblait. Il avait un " signe ". On pouvait l'expliquer comme on voulait, et l'on veut toujours ce qui tranquillise et ce qui vous convient. On avait peur des enfants de Caïn ; ils avaient un " signe ". Aussi, l'on interpréta ce signe, non pour ce qu'il était en réalité, c'est à dire une distinction, mais pour le contraire. On déclara que les individus qui possédaient ce signe étaient inquiétants, et ils l'étaient, en vérité ! Les gens courageux, les gens qui ont une forte personnalité, sont toujours peu rassurants. Qu'il exista une race d'hommes hardis, à mines inquiétantes, était fort gênant. Aussi, leur donna-t-on un surnom et l'on inventa ce mythe pour se venger d'eux et pour se garantir de la frayeur qu'ils inspiraient. ". Tout le monde d'Abel trouve ici son sens, il n'est autre que le monde sécurisé et balisé des faibles. Quant au meurtre d'Abel, il n'est qu'un mythe inventé par les mêmes faibles pour se venger et se mettre à l'abri des semblables de Caïn. Le procédé est subtil et il consiste en un renversement des valeurs, le noble devient le honteux, l'élu (par le signe) devient l'exclu, le sain le malade... C'est exactement et presque mot pour mot le cheminement de la pensée de Nietzsche dans La généalogie de la morale : pour Nietzsche il y a deux races d'hommes, les aristocrates et les esclaves ; les uns se caractérisent par l'action et la vitalité, les autres par la passivité et la faiblesse. La morale aristocratique est une morale de l'indépendance et de l'autonomie, le fort est un créateur, il se mesure à sa propre aune et n'a besoin d'aucune reconnaissance. C'est de plus une morale indulgente et altière, dépourvue de haine envers le faible. Au contraire, la morale des faibles est une morale du ressentiment et de la haine, une morale de réaction (contre les forts) : " Le soulèvement des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment devient lui-même créateur et engendre des valeurs : le ressentiment de ces êtres à qui la réaction véritable, celle de l'action, est interdite, et que seule une vengeance imaginaire peut indemniser. " L'homme aristocratique trouve la valeur du bon en lui-même et définit ensuite le mauvais par opposition, l'esclave commence par trouver l'autre mauvais et se pose ensuite comme l'étalon du bon. Cela ne peut donc être qu'une morale et des valeurs de vengeance, de haine et d'exclusion que l'on trouvera dans le christianisme, et la finalité de cette morale sera le nivellement par le bas, la médiocrité générale, satisfaite de sa bonté, craintive et frileuse. Chaque homme se verra forcé de se battre contre lui-même et contre ses instincts afin de rentrer dans le rang, et ce sera l'origine de la mauvaise conscience qui n'est plus alors qu'une maladie qui vient miner la vitalité d'une âme forte. Finalement, " Aujourd'hui, nous ne voyons rien qui veuille devenir plus grand, nous pressentons que tout va s'abaissant, s'abaissant toujours, deviens plus mince, plus inoffensif, plus prudent, plus médiocre, plus insignifiant, plus chinois, plus chrétien - l'homme, il n'y a pas de doute, devient toujours " meilleur ".
Dés lors, il ne reste plus, pour celui qui a pris conscience de tout cela, qu'à briser le moule et s'émanciper, bref à se chercher et à se construire loin de l'étroitesse du monde : Emile dira, " Je le sais aujourd'hui, rien ne coûte plus à l'homme que de suivre le chemin qui mène à lui-même ".

II La recherche de Soi.

La personne, on le sait, c'est d'après l'étymologie du mot le masque, l'apparence, bref le moi social de chacun, à la limite son état civil. Si le moi se réduit à cela, il ne peut être qu'appauvri, superficiel et de plus univoque. Or la recherche de soi des héros de Hermann Hesse est toujours la quête d'une richesse multiple, chacun de nous est pluriel, et le problème est celui de l'intégration de cette multiplicité, qui passe d'abord par sa découverte et son acceptation, ainsi Le Loup des steppes devra dépasser une dualité encore factice et figée pour se trouver, ou plutôt pour se perdre enfin. Or ce thème de la recherche de soi par le moyen de l'intégration des sois multiples, nous le trouvons encore très développé dans le romantisme. Mais avant d'en arriver là, il faut respecter la logique de la démarche : le but, c'est soi-même, et le premier mouvement est donc de rentrer en soi-même (mouvement centripète). Vient ensuite la découverte que ce moi intérieur est isolé, incomplet et de plus figé, d'où un mouvement centrifuge, l'amour, qui vise la fusion avec le tout et qui seul permet la réalisation effective de soi. C'est là le parcours de Goldmund : " (...) il sembla à Goldmund que sa vie avait pris un sens, comme si, la considérant de haut, il en distinguait nettement les trois grandes étapes : sa soumission à Narcisse et son affranchissement - l'époque de la liberté et du vagabondage - le retour au gîte, le retour sur soi-même et jusqu'aux profondeurs de l'âme, le commencement de la maturité et de la moisson ". En une première étape Goldmund se cherche, prend pour modèle Narcisse, erre... Puis Narcisse lui révèle sa spécificité et Golmund se perd sur les routes jusqu'à s'oublier lui-même. Enfin il rentre au gîte, la boucle étant bouclée, pour être enfin lui-même, enfin complet comme nous allons le voir maintenant.

1) La quête du Moi, le problème de l'individuation.


Dans la préface de Demian nous trouvons que " la vie de chaque homme est un chemin vers soi-même, l'essai d'un chemin, l'esquisse d'un sentier. Personne n'est jamais parvenu à être entièrement lui-même ; chacun cependant tend à le devenir, l'un dans l'obscurité, l'autre dans la lumière, chacun comme il le peut ". Le problème est alors celui des modalités de ce devenir soi-même, et là encore H. Hesse fut sans doute très influencé, et d'abord par le romantisme, par l'importance que celui-ci confère au Moi, puis par les moyens de l'atteindre.
Novalis disait que " La poésie est représentation de l'âme, représentation du monde intérieur dans sa totalité. Ses intermédiaires, les mots, l'indiquent déjà, car ils sont la manifestation extérieure de ce royaume profond. Le sens poétique a bien des points communs avec le sens mystique. C'est le sens de tout ce qui est particulier, personnel, inconnu, mystérieux, de ce qui doit être révélé (...). Il représente l'irreprésentable, sent l'insensible... ". Nous voyons que le sens de la poésie n'a ici plus rien de classique, la poésie n'est belle pour le romantique que parce qu'elle accomplit une alchimie subtile, que parce qu'elle est le véhicule d'une révélation. C'est le thème romantique de l'expression de l'âme individuelle, et la poésie sera alors le miroir tendu à l'âme pour qu'elle se reconnaisse, qu'elle se trouve enfin, non pas dans ce qu'elle a d'universel (la raison comme dans le classicisme) mais dans ce qu'elle a de plus particulier et de plus intime. Faire de la poésie, c'est donc se chercher et se trouver, et c'est là le but souverain, et le Moi est considéré par les romantiques comme l'instance suprême, la source de toute vie. Nous sommes ici proches de la philosophie idéaliste, et plus particulièrement de l'un des seuls philosophes romantiques, Schelling. Pour Schelling la distinction sujet-objet est factice, la pensée et la nature sont une seule et même chose, une unité brisée par l'histoire de l'esprit, mais qui doit pouvoir être retrouvée. La seule différence est que la pensée, et donc la subjectivité, est vivante, alors que la nature est une pensée figée, morte dans son objectivité. Le principe absolu est donc alors le Moi, il est l'alpha et l'oméga de toute la philosophie. Toute la pensée allemande du début du XIXème siècle, à partir de Kant, donne ce privilège à la subjectivité, au Moi (idéalisme).
Mais nous sommes ici au noeud d'un faisceau de pensées et d'influences extrêmement complexe. Pour faire clair, nous devons quitter la classification qui chemine d'influence en influence pour restituer le mouvement d'une pensée, qui ici est particulièrement synthétique.
Parmi les influences connues de Hesse, on trouve la psychanalyse (elle même inspirée de Nietzsche) et plus particulièrement C. G. Jung. Celui-ci nous dit que " Généralement parlant, le processus d'individuation est le processus de formation et de particularisation de l'individu ; plus spécialement de l'individu psychologique comme être distinct de l'ensemble, de la psychologie collective. L'individuation est donc un processus de différenciation qui a pour but de développer la personnalité individuelle. ". Jung est le psychanalyste du mythe et des archétypes, de l'inconscient collectif, et on retrouve par conséquent chez lui, et par une influence évidente, des pensées propres à la pensée romantique. En particulier il y a dans la citation précédente l'idée d'une unité primordiale, qu'il faut caractériser par l'indifférenciation et l'indétermination (sujet=objet). Cela n'est autre que l'Absolu chez Schelling. Pour qu'un individu soit, il faut que cet absolu primordial se détermine, donc qu'il se différencie, qu'il se construise contre, et c'est le procès d'individuation que nous venons de décrire avec Jung. Mais le résultat en est un appauvrissement, toute individualité implique la définition, donc la limitation et la finitude. S'individualiser c'est alors se choisir un Moi parmi tous les mois possibles, c'est se séparer de soi-même ! Nous arrivons alors à une alternative peu satisfaisante : d'un côté il y a l'indétermination, qui est certes totalité, mais qui ne saurait en jouir car elle est totalité immédiate, elle est le tout et n'a donc point de miroir qui lui renvoie son image afin qu'elle jouisse d'elle-même ; en termes psychanalytiques, c'est l'inconscient. De l'autre nous avons l'individu qui a dû sacrifier sa totalité et son intégrité, qui a dû se diviser contre lui-même pour prendre conscience de lui-même. Barricadé dans son individualité (solipsisme), il courre le risque de se figer en lui-même comme nous l'avons vu avec la mentalité bourgeoise. Il reste donc à gravir la dernière marche qui consiste en une réappropriation de l'absolu par un individu cette fois-ci conscient et qui pourra donc jouir de sa totalité retrouvée.
Mais c'est là une conception philosophique et aride, qui distingue avec rigueur l'absolu du départ et l'absolu comme résultat. La littérature et la poésie se contentent souvent de symboles et nous trouvons alors l'expression d'une nostalgie d'un age d'or, d'une volonté de revenir à l'indétermination première : la réalisation est située dans le passé plutôt que dans l'avenir, d'où une formulation mythologique et mystique, et des figures telles que la mère éternelle que l'on trouve si souvent chez Hesse. Nous allons donc parcourir les avatars de ces absolus qui ont pu influencer Hesse.

2) La quête romantique.


Dans le romantisme, il y a comme chez Hesse cette idée qu'il n'y a de perfection, c'est à dire de satisfaction de soi, que dans l'union avec l'entourage: il s'agit encore de briser l'enfermement du sujet en lui même pour le rendre à la Vie. Comme nous l'avons annoncé, cette idée de fusion et de retrouvaille avec la totalité du monde et donc de soi, emprunte différentes figures symboliques, et pour commencer celle de la mère universelle. C'est là le thème central des Disciples à Saïs de Novalis. Saïs, c'est Isis ou encore Démeter, la nature personnifiée, ou Eve chez Hesse (Eve p.177 de Demian et p.251 de Narcisse et Goldmund: la grande Eve maternelle). Elle incarne le mystère des origines, et se cache derrière un voile, et " (le maître) veut que nous suivions chacun notre propre voie, car toute voie nouvelle traverse de nouvelles contrées et reconduit chacun, à la fin, à ce domicile, à cette patrie sacrée. Je veux, moi aussi décrire de la sorte ma Figure ; et si, d'après l'inscription, aucun mortel ne soulève le voile, alors nous devons tâcher à nous faire immortels. Celui qui ne veut pas, celui qui n'a plus la volonté de soulever le voile, celui-là n'est pas un disciple véritable, digne d'être à Saïs. ". Il y a dans ce passage tout le chemin que nous avons décrit : l'individuation ne vaut pas pour elle-même, elle n'est que le passage obligé qui nous ramène aux portes de la mère universelle dont nous sommes partis, mais nous pouvons peut-être cette fois-ci soulever le voile et par là nous accomplir en nous refondant dans le tout. Mais ce retour est compris par Novalis comme une synthèse et non pas comme une régression puisqu' il ne s'agit pas de se perdre dans le tout, mais d'y trouver sa place, d'y participer. C'est la belle parabole des disciples qui recueillent des minéraux et créent des motifs, celle du disciple triste et maladroit qui un jour ramène un caillou gris et terne qui vient pourtant compléter la figure et reconstituer l'unité perdue. Dés lors le disciple maladroit sera transfiguré, il s'est trouvé lui-même, il s'est intégré à l'univers comme sa pierre s'intègre à la figure (la différence n'est plus coupure mais continuité). Cette pensée n'est cependant pas très manifeste chez Hesse, chez qui on trouve pourtant l'image récurrente de la Grande Mère. Mais la pensée de Hesse pose plutôt le rapport de l'individu au tout comme un rapport d'identité du microcosme au macrocosme : tout sujet porte en lui la totalité et il lui appartient de la réaliser en lui, non d'y trouver sa juste place comme chez Novalis. Ainsi on trouve dans Le Loup des steppes l'image frappante d'une infinité de pions d'échec, qui tous représentent une partie constituante de Harry Haller, auquel il ne reste plus qu'à faire varier leurs combinaisons à l'infini pour parcourir l'ensemble des mois possibles (encore Le jeu des perles de verre). Entre le Moi et le monde, le rapport est donc plus d'identité que d'inclusion, comme le montre l'exemple décisif de Siddhartha : " Le visage de son ami Siddhartha disparu à ses regards ; mais à sa place il vit d'autres visages, une multitude de visages, des centaines, des milliers ; ils passaient comme les ondes d'un fleuve, s'évanouissaient, réapparaissaient, tous en même temps, se modifiaient, se renouvelaient sans cesse et tous ces visages étaient pourtant Siddhartha. Il vit celui d'un poisson, d'une carpe, dont la bouche ouverte exprimait l'infinie douleur d'un poisson mourant, dont les yeux s'éteignaient... Il vit le visage rouge et ridé d'un nouveau né, sur le point de pleurer... Il vit celui d'un meurtrier, il vit comme il plongeait un couteau dans le corps d'un homme... Il vit, au même instant, ce meurtrier s'agenouiller avec ses entraves et le bourreau lui trancher la tête d'un seul coup de son glaive... ". Siddhartha a atteint l'absolu, il est dit semblable à Bouddha, il est lui-même, c'est à dire le Tout en Un, l'Un en Tout.
Toujours est-il que ces distinctions conceptuelles ne sont pas toujours respectées comme le montre l'image récurrente de la mère chez Hesse. " L'image m'apparut comme une sorte de figure de dieu ou de masque sacré, à demi-masculin, à demi-féminin, sans âge, volontaire et rêveur à la fois, raide et reflétant cependant une vie profonde et mystérieuse. Ce visage avait quelque chose à me dire. Il m'appartenait ; il exigeait de moi quelque chose. ". Ainsi aussi la mort dans Narcisse et Goldmund, ressentie comme une mère et une amante (p.180). Comme nous l'avons vu, Novalis l'avoue lui-même, le sens poétique et le sens mystique sont frères, et ils ont en commun de s'attacher à l'irrationnel, à l'irreprésentable, et les différentes modalités de fusion dans le tout ne sont au fond que des métaphores interchangeables qui visent à dire l'indicible. Comme le disait aussi Goethe, la poésie confine à la magie, et la pensée magique ignore les distinctions conceptuelles. Inclusion, identité, miroir, communion, tous les moyens sont bons pour exprimer le retour à l'Absolu .

3) L'apollinien et le dionysiaque.


Mais c'est peut-être encore Nietzsche qui offre à Hesse l'une des formulations les plus adéquates de l'Absolu, et ce dans La naissance de la tragédie, où sont mis en jeu l'apollinien et le dionysiaque. Le dionysiaque c'est " Le oui dit à la vie même dans ses problèmes les plus éloignés et les plus durs, le vouloir vivre qui se réjouit de sa propre inépuisabilité en sacrifiant ses propres types ", c'est donc " être soi-même l'éternel plaisir du devenir, ce plaisir qui comprend également le plaisir d'anéantir... ". Dionysos est le dieu de l'ivresse et de la musique, de la transe bachique qui met le sujet hors de lui-même et s'oppose à toute individuation. Le dionysiaque c'est donc la vie elle-même, l'immersion dans l'infinité de la particularité, dans la mouvance et la fluance du fleuve héraclitéen. Apollon est au contraire le dieu de la beauté plastique, de la forme déterminée et limitée, il est la mesure face à la démesure du dionysiaque, dieu du soleil, il est la lumière qui découpe et sépare les formes, qui ainsi sortent de l'indistinction nocturne propre au dionysiaque. On pourrait ici citer Hegel : " La puissance orientale de la substance, avec sa démesure, l'esprit grec l'a réduite à la mesure, l'a enfermée dans d'étroites limites. Cet esprit est mesure, clarté, but, limitation des formes, réduction de ce qui est immense, infiniment somptueux et riche, à la déterminité et à l'individualité. La richesse du monde grec ne consiste que dans une foule infinie de singularités belles, aimables, remplies de grâce, - dans cette sérénité présente en toute existence. Ce qu'il y a de plus grand chez les grecs, ce sont les individualités (...). Face au somptueux, au sublime, au colossal de l'imagination orientale, les constructions d'art égyptiennes, de la richesse de l'Orient, etc..., les réalités sereines de la Grèce (Dieux, statues et temples pleins de beauté), comme ces réalités sérieuses (institutions et actions), peuvent bien apparaître comme de faibles jeux d'enfants : la pensée qui s'épanouit ici l'est davantage encore : elle enferme dans d'étroites bornes cette richesse des individualités, ainsi que la grandeur orientale, et les réduit simplement aux dimensions de son âme ".
Pour Nietzsche, l'élément archaïque qu'est le dionysiaque n'est pas d'emblée vaincu par l'apollinien, mais demeure à ses côtés, et c'est de cette tension que naît la tragédie attique (Eschyle, Sophocle). Mais pour en revenir à Hesse, nous voyons bien que le dionysiaque est une autre forme de l'Absolu, et que c'est à lui que se livre par exemple Goldmund dans son errance. Cependant Goldmund est un sculpteur, et il est aussi l'ami de Narcisse, qui lui est de nature apollinienne. La réalisation sera plutôt dans la synthèse de ces deux principes, ce qui nous renvoie à une nouvelle formulation de la réappropriation de l'absolu par un individu, que nous avons évoquée plus haut.
Ajoutons que cette synthèse peut aussi être comprise comme celle du physique et du spirituel, ce sera l'une des conquêtes du Loup des steppes que de se réapproprier son corps et sa sensualité, et ce par la danse, d'essence dionysiaque par excellence.

4) Les religions et sagesses asiatiques.


Le grand-père de Hermann Hesse était philologue et spécialiste du sanskrit. Or nous retrouvons dans l'hindouisme, le bouddhisme et le taoïsme, trois figures équivalentes de l'Absolu, le Brahman, le Nirvana et le Tao, auxquelles le sage doit se fondre pour atteindre l'état suprême. L'exemple de Siddhartha est suffisamment éloquent (Cf. citation plus haut). Le taoïsme par exemple renonce aux intérêts et aux passions terrestres et recherche l'identification par l'extase à la grande énergie du monde, l'absolu impersonnel, le Tao. Celui-ci est " le principe primordial et éternel de l'univers, mais il ne peut être ni représenté, ni conceptualisé. Maître d'un temps cyclique, des transformations infinies et de la coexistence nécessaire des deux principes yin et yang, il laisse se créer les êtres spontanément, par la coagulation éphémère des énergies, les " souffles ". Ainsi, transformations et oppositions multiples sont-elles l'oeuvre du Tao et la manifestation de son pouvoir. Quiconque sait s'incorporer à ce processus devient un avec le Tao et se transforme en lui ". Notons pour souligner la parenté entre les trois grandes religions asiatiques que le bouddhisme a pu s'imposer en Chine par le fait même que ces principes sont si proches du taoïsme.

Conclusion.

Nous avons balisé le chemin qui mène, chez Hermann Hesse, de l'insatisfaction et du malaise d'un sujet opprimé à sa réalisation, en passant par les étapes nécessaires de la prise de conscience et de la quête du Moi. Il aurait encore fallut montrer l'interférence des techniques littéraires propres à un pareil projet, telles que l'évocation du rêve présente aussi bien chez Hesse que chez les romantiques et les mystiques, mais nous avons dû nous limiter aux idées et aux généralités.

RETOUR AU SOMMAIRE